Joelle Lecoq    

 

J’ai découvert que j’entendais mal à l’âge de 27 ans, en sortant d’une pièce de théâtre, après avoir constaté que j'étais la seule du groupe à penser que les comédiens ne parlaient pas assez fort. J’ai passé très vite un audiogramme, et j’ai appris que j’avais perdu beaucoup d’audition à droite. J’ai donc eu un contour auditif. Pendant 10 ans, l’audition de cette oreille a continué à baisser doucement, mais continuellement. J’avais des sifflements et l’impression de ressentir un espèce d’engourdissement derrière l’oreille droite, c’était très bizarre. Je souffrais aussi de vertiges qui duraient plusieurs jours.

 

 

Mon quotidien avant l’implantation

J’ai continué mon travail d’attachée juridique, sans que personne ne devine que j’avais un souci auditif. Je cachais à tout le monde ce handicap. J’étais aussi soignée pour une maladie auto-immune. J’ai pris 8 comprimés par jour pendant 8 ans, il est donc possible que ce traitement ait été toxique pour mon audition.

En 1993, l’audition de mon oreille gauche a également commencé à flancher doucement. Il a fallu mettre un contour auditif aussi de ce côté, d’autant plus que l’audition à droite continuait à baisser sévèrement. Je suis restée avec mes deux contours auditifs, en cachant ma surdité au sein de mon activité professionnelle, car je tenais à mon poste et je craignais qu’on me déplace, ce qui m’aurait perturbée et démotivée.

En 2004, j’ai fait une rechute de ma maladie auto-immune et il a fallu redémarrer un traitement lourd. Le CHU de Rouen m’a alors proposé d’implanter l’oreille droite qui était très atteinte. J’ai su que c’était assez nouveau dans ce CHU d’implanter quelqu’un qui n’était pas totalement sourd, et j’en ai été très reconnaissante. J’ai obtenu un avis favorable, car les traitements pour me soigner risquaient d’aggraver ma surdité bilatérale.

 

Implantation de l’oreille droite : l’intervention chirurgicale

Je suis entrée au CHU le 11 décembre 2005, pas très rassurée mais confiante. Le chirurgien m’avait tout expliqué, les ORL avaient été rassurants et un psy m’avait suivie depuis deux mois. J’ai été endormie vers 10h, et je me suis réveillée la tête bandée très serrée ! Dès mon réveil, on m’a mis mon ACA à gauche comme je l’avais demandé, afin d’entendre et de ne pas paniquer. J’ai eu des douleurs pendant plusieurs jours, mais aucun vertige ou vomissement. Tout s’est donc très bien passé et on ne m’a gardée que 3 jours. C’était un peu court, car j’étais faible, mais comme je me remettais bien, je suis rentrée chez moi pour le plus grand bonheur de mes proches qui m’ont bien chouchoutée.

La première activation et les réglages, des moments inoubliables

Je suis retournée au CHU le 3 janvier 2006 pour le premier essai de mon processeur. Ce fût un grand moment, j’entendais un petit martien qui me parlait, et puis un petit canard qui répondait, et ce petit canard c’était ma voix !

Des moments inoubliables, avec un fou rire de toute l’équipe et quelques larmes quand on m’a dit que tout fonctionnait bien ! Le second réglage 15 jours plus tard, après la fin de la cicatrisation, m’a laissé émerveillée. J’ai pleuré, car entendre aussi bien de l’oreille droite, c’était comme un miracle ! Mon oreille droite m’avait laissé tomber chaque jour un peu plus, ne laissant passer que les bruits forts, mais plus du tout la compréhension de la parole ! Cette oreille récupérée, c’était un énorme cadeau de la médecine !

 

La rééducation après l’implantation de l’oreille droite

Ma rééducation s’est d’abord effectuée sur 4 mois, avec deux orthophonistes différents. C’était des moments de joie.

Je n’ai pas vraiment redécouvert des sons, mais au niveau de la conversation, de la TV, la radio ou la musique, la différence de compréhension a été gigantesque.

J’avais toujours caché ma surdité. Je m’étais surpassée et je m’étais épuisée ! Mon mari est décédé très jeune, et je ne voulais pas mettre ma carrière en danger. Pourtant, ça devenait dur de jouer celle qui entendait bien, celle qui était tellement plongée dans son boulot qu’elle ne relève pas la tête quand on l’appelle... Dès que le CHU a pris la décision de m’implanter, j’ai ressenti une véritable libération. À partir de ce moment là, je disais à tout le monde que j’allais être opérée de l’oreille droite, car elle ne fonctionnait plus ! J’avais dépassé ma honte d’être sourde !

Le psychothérapeute qui m’a suivie m’a aidée à ne plus avoir honte de ma surdité. Son aide a été considérable !

 

Mon quotidien après la première implantation

J’ai repris mon travail, d’abord en mi-temps thérapeutique, puis je suis retournée défendre mes dossiers dans les tribunaux. Mon implant a fait des merveilles, je n’étais plus obligée de connaître mes dossiers par cœur pour palier à ma surdité. Je suis retournée manger avec mes collègues à la cantine, j’ai pu retrouver une forme de sérénité.

J’ai découvert le CISIC grâce à internet. Cela m’a permis de prendre conscience que je n’étais plus toute seule. J’ai compris que chacun avait eu sa dose de souffrance à cause de la surdité, et que l’on pouvait créer un vrai lien d’entraide. Vous n’imaginez pas à quel point cela m’a réconforté ! Je suis devenue bénévole à mon tour.

 

L’implantation de mon oreille gauche

Je suis restée avec mon ACA à gauche et mon implant à droite durant 9 ans, sans ressentir la nécessité d’une bi-implantation. Hélas, mon audition de l’oreille gauche continuait à baisser doucement mais inexorablement.

En 2013, lors d’un audiogramme, l’ORL m’a d’ailleurs confirmé que je n’avais plus de compréhension de la parole, et que même si les sons passaient encore bien, il me fallait désormais songer à une bi-implantation.

Je n’ai pas hésité du tout. Pour cette seconde implantation, j’ai passé les tests de l’équilibre, j’ai rencontré la psychologue, le chirurgien, mais je n’ai pas passé de scanner et d’IRM. J’ai été implantée le 30 octobre 2014.

Je me suis réveillée avec un bruit infernal dans la tête qui a duré 24h. Le bruit s’est arrêté progressivement, et le silence retrouvé fût un vrai soulagement. Le chirurgien est passé me voir juste 2 minutes, pour me dire : « Tout va bien, vous sortez avant midi ». J’ai eu des douleurs durant 8 jours, mais pas de vertige et pas d’acouphène.

Hélas, un hématome important est apparu au bout de 5 jours. Pendant 3 semaines, il a fallu faire appel à une infirmière à domicile. J’ai ensuite revu le chirurgien le 20 novembre, et il a considéré que tout était parfait.

 

L’activation et la rééducation de ma seconde oreille

Le grand jour de l’activation des électrodes était fixé au 2 décembre 2014 ! J’ai retiré mon processeur de l’oreille droite et je me suis alors retrouvée dans le silence total. L’audioprothésiste a commencé à tester toutes les électrodes, puis elle est passée au réglage des seuils. Les sons qui me sont parvenus les uns après les autres me fascinaient. L’audioprothésiste m’a ensuite parlé. Elle m’a demandé de répéter des mots et j’ai fait un zéro faute ! Nous avons éclaté de rire. Un grand moment de joie ! Je venais de retrouver l’usage de mon oreille gauche !

Ce qui est amusant, c’est que j’entendais des voix enfantines, la mienne, la sienne, celle de mon compagnon, des jolies voix d’enfants, et ça me bouleversait. C’était étrange, mais joli.

 

La vie en étant bi-implantée

J’ai tout de suite pu constater que les 2 processeurs ensemble m’apportaient d’emblée une véritable amélioration globale, même si, au début, mon premier processeur m’apportait davantage de compréhension. Il a été décidé que je suivrais des cours de rééducation orthophonique une fois par semaine. Mes résultats ont été très vite excellents et ont stupéfié mon orthophoniste dès la 1ère séance. Je répétais tout ce qu’elle me disait quasiment sans hésitation.

J’ai eu un second réglage le 6 janvier 2015. Les voix enfantines ont commencé à devenir des voix d’adultes…J’entendais de mieux en mieux, les sons étaient très naturels. Lors du 3ème réglage en février 2015, les sensations d’entendre des voix enfantines ont totalement disparu.

En février 2015, le fabricant AB a échangé mes 2 processeurs. J’ai trouvé difficile de devoir m’adapter à des nouveaux processeurs alors que j’étais encore en pleine rééducation, mais j’ai très vite apprécié une réelle amélioration. Grâce à ces 2 implants, j’ai une réelle amélioration de la qualité d’écoute de la parole dans le calme comme dans le bruit. Par exemple, à table, au restaurant, à la cantine, j’entends les conversations sans effort et je peux localiser instantanément de quel côté vient un bruit. J’ai retrouvé une meilleure qualité d’écoute de la musique, et j’ai une très bonne compréhension de la télévision et du téléphone.

Aujourd’hui, après deux décennies avec mes implants, je mesure chaque jour à quel point c'était la meilleure décision à prendre pour retrouver une qualité de vie et une autonomie précieuses. Ce choix a transformé ma vie et je veux exprimer ma gratitude pour avoir pu bénéficier de cette incroyable technologie. Entendre c'est renaître !

 

Témoignage mis à jour et republié en avril 2025