Je m'appelle Danielle et j'ai 45 ans.

J'ai une pensée pour tous les sourds,enfermés dans leur bulle,et je leurs dit:"foncez si vous voulez vous faire implanter !!!!".

Mon histoire dans le monde des sourds a débuté réellement en 1994.

Je suis née entendante.J'ai vécu normalement jusqu'à mes 29 ans.Deux ans avant cette date,j'ai commencé a avoir des baisses d'ouïe.Je me suis fais appareillée mais je n'ai pas supporté du tout.J'entendais tout plus fort et voilà.Je ne distinguais pas les aïgus et l'appareil ne me les rendait pas,il ne faisait qu'emplifier les graves.Il a donc atterrit dans un tiroir.

A l'époque j'étais commercante,mariée,mère de deux enfants de 6 et 4 ans.Une fille,un garçon.

Puis j'ai accouché en 94 de ma 2ième fille.Deux mois après l'accouchement,je m'en souviendrai toujours,un après midi alors que je discutais avec une amie,le son s'est "coupé".Définitivement.Je n'entendais plus rien du tout!

Le fait est dû à un problème génétique.Ma mère,mon grand père,ma tante ont commencé a avoir une surdité en vieillissant.Mais moi j'avais 27 ans!!!!!!!!!!

Evidemment j'ai dû arrêter de travailler.

Quelle galère.Comment réagir?C'était très dur.Tout d'abord le déni,c'était impossible,ça allait revenir!!Mais rien.Alors au fil des jours j'ai sombré dans une dépression.Comment m'occuper des enfants,comment vivre,comment comprendre les gens,comment entendre mon bébé pleurer,comment,comment,comment?????Mon mari n'a pas réalisé la gravité du mal,il ne voulait pas je crois.Mon généraliste s'est entretenu avec lui car il voulait m'envoyer en maison de repos.J'avais qu'une idée,que ça s'arrête,par tous les moyens même si c'était en finissant avec ma vie de façon radical.

Et puis j'ai réalisé qu'il y avait mes enfants.J'allaitais la dernière (jusqu'à ses 3 ans....)Je ne pouvais pas ne penser qu'à moi,eux n'avaient pas l'air perturbé par ma surdité.J'ai donc avancé comme j'ai pû.Avec eux.

Mon mari ne m'a pas été d'un grand secours.Il n'admettait pas.Je n'ai jamais suivis de cours de lecture labiale,je me suis faite "seule" ,mon acuité visuelle s'est développée,j'ai scruté et encore scruté.Les enfants articulaient,parlaient en me regardant.Mais mon mari,non.En plus il a une moustache...Il me parlait dans le noir,de dos,ect....Le couple a évolué dans une descente aux enfers où l'un prenait possession de l'autre,le dominait.J'avais perdu ma vie,ma force de caractère,mon autonomie.J'étais dépendante de mon mari pour élever mes enfants et subvenir à nos besoins.Même si il m'aime,il a pris une ascendance sur moi et n'arrivait plus à me considérer comme une égale.Il en profitait.C'était très dur car j'avais toujours dirigé ma vie.

Comment faire quand on est isolée dans une bulle?Je n'avais plus de famille (tous décédés) sauf une soeur qui m'aidait souvent.Me restait ma belle famille mais quand on souffre d'un handicap les gens s'en moque.Ne veulent pas,n'ont pas la patiente...."Que dits vous?" j'ai dû dire cela 100000 fois......Et j'ai renoncé.On oblige pas les gens à comprendre,aimer,compatir.La pitié c'est pas mon truc.J'ai préféré resté dans ma bulle.On ne se bat pas du matin au soir,du lundi au samedi.C'est fatiguant.

Donc à part 4/5 adultes aucune conversation possible.

 

Et puis j'habire un village,loin de tout.La ville la plus proche où se trouve les associations est à 60kms...Les sourds aussi....Alors comment nouer des contacts où entreprendre quelque chose quand tout est si loin?

 

Restait les enfants.Qui sont merveilleux.

Eux à vrai dire ,ont besoin.Alors sourd ou pas,ils s'en moquent.Ils s'acharnent,répètent et trouvent le mode d'emploi.

Avec eux cela allait presque très bien.Le bébé,je ne le quittait jamais.La nuit aussi.

Puis ils ont grandis.Ma fille ainée a été très sollicité.Un avantage mais aussi un inconvénient.Elle n'a pas eu la vie de petite fille qu'elle aurait dû avoir.Elle veillait sur son frère et sa soeur,c'était plus fort qu'elle.Elle répondait au tel.Sans me consulter elle prenait les décisions avec les interlocuteurs....A 8 ans elle gérait.A 15 ans elle était adulte.

Elle a dû s'éloigné de nous pour poursuivre ses études dans la coiffure.Elle s'y refusait,ne voulant pas me laisser.Il a fallut la forcer et lui faire comprendre,un peu tard,que je pouvais vivre sans elle.Je m'étais installée dans ce confort que de la voir gerer avec mon entourage,et je m'étais mise à détester les gens.

 

J'avais appris à aimer la solitude.Bien obligé.

Je n'appartenait ni au monde des sourds (n'en rencontrant jamais et ne pratiquant pas la langue des signes) ni au monde des entendants.J'étais dans mon monde.Ma bulle.Mon univers je l'ai recrée,une espèce de cage dorée,un cocon où rien ne pouvait m'arriver et où personne ne pouvait me faire du mal.

Sortir était une plaie.

 

Les enfants ont grandit.Sont devenus adolescents.Mon fils supportait difficilement ma surdité à cette époque.Ma fille ainée s'est mise à en souffrir aussi,ou tout du moins à le montrer,c'était nouveau.

Ma nièce est alors devenue sourde,comme moi,mais à 20 ans.

 

J'avais déjà entendu parler de l'implant chochléaire en 95.Je n'étais pas chaude à l'époque car c'était encore experimental et il y avait des problèmes.Je me suis décidée à consulter.J'ai rencontré le prof.ROBIER.J'ai passé des examens demandé ,et il m'a à nouveau reçu.Je me rappelle comme si c'était hier .Il m'a dit tout de suite:"c'est bon,vous êtes implantable,on vous opère le mois prochain"Je me suis dit "j'ai mal compris!!!!.......,mal lu sur les lèvres........." et le mois suivant j'entrais à l'hôpital Bretonneau.

Je remercie le prof.Robier,son équipe, le personnel soignant,les orthophonistes qui m'ont soignée.Avec compétence et chaleur.

 

Trois jours après l'opération je rentrais chez moi implantée.Bien sûr ça fait un peu mal.Mais à côté de toute la souffrance endurée si longtemps....Et au bout de 8 jours on ne sent plus rien.Moi,je n'ai jamais eu de problème avec l'implant interne.Psychologiquement et médicalement je l'ai de suite accepté.

Un mois après on me posait l'implant externe.Un Nucleus 2000.

Alors là!c'est du grand n'importe quoi!!!!!J'entendais,mais je me serai crû au milieu d'un champ de guerre!!!!!cacophonie,bruits terrifiant,aucune perception des voix.Les voitures étaient des avions à réaction,l'eau qui coule les chutes du niagara,....

Puis vinrent les réglages.Une fois par semaine,puis une fois par mois.J'ai dû en avoir 8 à peu près.Au bout du 3ième je comprenais les mots,puis les phrases.Qu'elle joie que de retrouver les voix de mes proches (que je n'ai jamais oublié malgré tout),de découvrir la voix de mes enfants.De pouvoir entendre,soutenir une conversation,ect....Cela a été très vite.D'ailleurs l'orthophoniste a été très étonné.Je comprenais tout.Je téléphonais.Là le blocage était plus spychologique.Allais -je comprendre sans pouvoir lire sur les lèvres mon interlocuteur?J'ai essayé avec mes proches et cela fonctionnait!!!!!J'entendais au tel!!!!!J'ai un appareil qui amplifie les sons car sur le portable c'est un peu plus difficile.

Je comprend la TV.

J'ai retrouve ma vie.Ils me l'ont rendue.Ma joie de vivre.Mon indépendance.Je suis redevenue maître de ma vie.

C'était fantastique.

 

Cela avait duré 14 ans.14 ans d'isolement.

 

J'ai gardé de cette époque mon goût de la solitude,l'amour de ma maison,de mon univers,et ce qui me reste essentiel:l'amour viscéral avec mes enfants.Nous sommes tous les 4 très complices,très solidaires.

 

J'ai gardé les amis qui m'ont soutenue et qui se compte sur les doigts d'une main.

J'en ai rajouté d'autres depuis 5 ans,mais très peu.Je ne me fais plus aucune ilusion sur la nature humaine.

 

Je pense qu'il aurait fallut un accompagnement spychologique de ma famille après l'implantation.Mes enfants se sont vite adaptés,ils ont appris à me traiter en égale,nous avons de longues conversations,une autre complicité,un vécu très fort.

Mais mon mari l'a très mal vécu.Je me suis aperçue qu'il me rabaissait souvent,il n'assimilait pas que j'entendais et était souvent odieux.Ca a duré 2 ans environ.Je le reprenais constamment.Il fallait tout reconstruire notre vie de couple qui était devenue inexistante.Je redevenais égale à lui.Il avait pris l'habitude de vivre seul,à sa guise.Lui d'un côté,moi de l'autre.

Il fallait se retrouver,il fallait se respecter,il fallait pardonner,essayer d'aimer à nouveau,reconstruite sur des ruines.

 

C'est long.

 

C'est un choix.

 

C'est un combat de tous les jours mais qui porte ses fruits.Maintenant je peux donner mon avis,je prends des décisions,j'entreprends,je refuse,j'explique.Nous avons gardé une certaine indépendance mais nous savons aujourd'hui nous retrouver,nous donner le temps de vivre ensemble et de réapprendre à nous aimer.

 

Cette semaine je vais être grand mère.Mon petit fils,je vais l'entendre.Et c'est merveilleux.