Depuis plusieurs années à l’hôpital Saint-Antoine, nous faisons systématiquement un bilan des troubles de l’équilibre avant l’opération de l’implant cochléaire.
Pourquoi ce bilan ?
Parce que comme vous le savez, l’oreille ne sert pas seulement à entendre. Sa partie postérieure sert à tenir en équilibre. Il est important pour nous de savoir si l’oreille de l’équilibre est aussi malade. D’abord pour affiner le diagnostic car la maladie dont vous avez souffert pour perdre une grande partie de l’oreille de l’audition a pu atteindre aussi l’oreille de l’équilibre. Ainsi par exemple un certain nombre d’entre vous ici ont eu la maladie de Menière. Cette maladie touche les deux parties de l’oreille, celle de l’audition et celle de l’équilibre. Ainsi certains d’entre vous ont eu des vertiges en même temps qu’ils perdaient l’audition.
Mais ce bilan nous le faisons aussi en prévision de ce qui peut se passer après l’intervention. N’importe quelle intervention sur l’oreille, même une oreille totalement normale, peut entraîner une baisse de l’audition ou un mauvais fonctionnement de l’oreille de l’équilibre.
La pose de l’implant cochléaire comporte donc un risque d’abîmer l’oreille de l’équilibre en partie. Mais on n’oubliera pas que la pose de l’implant cochléaire peut aussi améliorer l’équilibre parce que le sujet peut utiliser son audition aussi pour se repérer dans l’espace, l’espace sonore est important aussi pour se repérer.
Petit historique
En effet, si on sait depuis longtemps qu’on entend avec les oreilles, ça fait peu de temps qu’on a compris qu’on était en équilibre grâce à nos oreilles.
C’est Flourens en 1924 qui va découvrir que l’oreille est le centre de l’équilibre.
Menière Prosper, en 1870, va faire pour la première fois la description d’un vertige chez une patiente et va découvrir que le siège de la maladie est dans l’oreille interne. Il a donné son nom à la fameuse maladie de Menière.
Barany Joseph, un viennois O.R.L. va découvrir qu’on peut étudier l’oreille de l’équilibre en injectant de l’eau dans l’oreille à une température plus froide ou plus chaude que la température du corps.. Il a obtenu pour cette découverte, le prix Nobel au début du XXe siècle.
En 1920, on a décrit les trois grandes maladies de l’oreille de l’équilibre :
- la maladie de Menière : ce sont des crises répétées de vertige de quelques heures avec une baisse de l’audition
- le vertige paroxystique positionnel bénin :(VPPB) c’est un vertige qui dure quelques secondes et qui est provoqué lorsqu’on change de position
- la névrite vestibulaire : un vertige qui dure quelques jours et qui est dû à l’oreille de l’équilibre d’un côté qui s’arrête brusquement de fonctionner.
En 1980, on va découvrir un traitement rapide du vertige qui dure quelques secondes, le VPPB. C’est encore un français, Alain Semont, kinésithérapeute parisien qui va découvrir une manoeuvre rapide pour guérir d’un coup ce vertige.
Enfin, les nouveautés actuelles :
- la vidéonystagmographie, technique très simple pour explorer l’organe de l’équilibre
- le traitement par la rééducation vestibulaire qui permet de guérir les vertiges chroniques
- un traitement chirurgical qui est utilisé rarement pour les vertiges et qui est de mieux en mieux codifié.
L’équilibre ce n’est pas comme l’audition, c’est un processus inconscient, automatique. On n’y fait pas attention.
Si je fais attention à mon équilibre, c’est que soit je suis malade, soit je suis en danger. Par exemple, à bicyclette j’ai peur de tomber par ce que la chaussée est glissante.
Qu’est-ce que c’est que « être en équilibre » ?
Être en équilibre c’est ne pas avoir peur de tomber, c’est pouvoir me déplacer et tenir debout facilement.
L’oreille joue un très grand rôle pour se maintenir en équilibre. C’est elle qui commande le tonus musculaire pour que je puisse avancer, appuyer mon poids tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre. La seule règle, c’est que le centre de gravité soit toujours en projection entre mes deux pieds, c’est ce qu’on appelle le polygone de sustentation. Dès que mon centre de gravité dépasse le polygone, si on me pousse trop par exemple, eh bien je peux tomber car je suis en déséquilibre.
Mais, une deuxième condition nécessaire pour que mon équilibre soit parfait: je dois toujours voir clair et net. Quand je prends une photo, pour la réussir, je fais attention de ne pas bouger. Si je bouge, la photo est floue. Mon oeil, c’est un peu comme un appareil photo avec la rétine au fond qui peut être assimilée à une pellicule photo. Normalement, quand je bouge ma tête en vous regardant, je devrais voir trouble.
Si je ne bouge pas, la photo est nette. Si je bouge, elle devient floue. Ce n’est pas le cas pour l’oeil.
Pourquoi ?
Je vois net, alors que ma tête bouge, eh bien c’est grâce à l’oreille. En fait l’oreille de l’équilibre donne en permanence au cerveau la position de la tête dans l’espace et le mouvement que la tête fait dans l’espace. Après, c’est un réflexe : dès que je bouge ma tête vers la droite, l’oeil va vers la gauche. Ainsi il regarde toujours la même image et l’image reste stable sur la rétine. C’est l’oreille qui commande le mouvement des yeux pour qu’on regarde de façon nette même si on bouge la tête.
Lorsque le mouvement de la tête est plus important, l’oeil ne peut pas indéfiniment aller à l’opposé de la tête.
Il revient alors très vite à sa position médiane dans l’orbite (pendant ce temps-là, on ne voir rien, mais c’est tellement rapide qu’on en s’en aperçoit pas) puis il recommence à aller dans la position opposée au mouvement de la tête. Ainsi pour un tournant à droite, il va faire ce mouvement de va-et-vient trois ou quatre fois vers la gauche. Il prend ainsi « quatre photos » et le cerveau recrée un mouvement de l’image. Ce mouvement de va et vient, s’appelle le nystagmus. Ce mouvement permet une stabilisation de l’image. Il est normal que nous faisions des nystagmus lorsqu’on bouge la tête, nystagmus droit quand on tourne à droite, nystagmus gauche quand on tourne à gauche, nystagmus vertical quand on lève la tête ou baisse la tête. Mais lorsque la tête est immobile, il ne doit pas exister des nystagmus cela signifie que l’oeil bouge sans que la tête bouge, il y a donc vertige. On voit des nystagmus tête immobile uniquement chez les malades.
Définition du vertige : théorie du conflit sensoriel
Un vertige ou un trouble de l’équilibre est dû à un conflit sensoriel. (2 organes des sens envoient au cerveau des informations contradictoires).
L’exemple le plus caractéristique c’est le mal des transports. Par exemple dans un bateau, si je lis ou si je regarde simplement le plafond. L’oeil informe le cerveau que rien ne bouge alors que l’oreille informe le cerveau du mouvement du bateau. C’est un conflit. Certaines personnes ne le supportent pas.
Mécanismes du vertige :
Les deux oreilles envoient à travers le nerf vestibulaire des impulsions en permanence au cerveau. Lorsque la tête est immobile, les impulsions sont équivalentes. Le cerveau ne trouve pas de différence entre les deux oreilles et déduit que le sujet ne bouge pas.
Lorsque je bouge ma tête à droite, l’oreille droite envoie au cerveau beaucoup plus d’impulsions que l’oreille gauche. Le cerveau constate cette différence, devine que le sujet tourne à droite, et dirige vers la gauche automatiquement pour garder stable l’image sur la rétine.
Si brusquement, j’ai une maladie de l’oreille gauche, le cerveau constate une différence entre les deux oreilles, même si la tête ne bouge pas. Il interprète cette situation comme un mouvement de la tête vers la droite et fait un nystagmus droit, ce qui provoque le vertige. Puis si la maladie persiste, le cerveau va s’habituer (compensation vestibulaire ou plasticité cérébrale).
La rééducation vestibulaire Quand la faire ?
- quand il reste des symptômes après une crise ou à l’arrêt des médicaments
- quand une gêne apparaît dans certaines situations (grands espaces, grands magasins, transport, hauteur, marche)
Dans quel cadre ?
- 1 fois par semaine: 30 minutes
- par un Médecin ou un Kinésithérapeute
- On commence par un état des lieux de l’équilibration appelé « bilan fonctionnel »
- Le but est d’encourager la compensation vestibulaire grâce à la plasticité cérébrale.
- Elle dure 3 mois environ
Technique
Le but de la rééducation est différent selon le contexte :
- Certains patients ont eu une maladie vestibulaire qui a guéri complètement. Pourtant il reste gêné car il n’arrive plus à utiliser leur système de l’équilibre comme avant la maladie. Le traitement consiste à expliquer l’équilibration, à faire des exercices de stimulations optocinétiques et de la marche les yeux fermés pour reprendre de l’assurance.
- Certains patients ont une maladie qui est stabilisée. Il faut les « éduquer », leur apprendre leur nouveau schéma corporel centré sur leur « nouvelle oreille ». Les exercices yeux fermés sont importants ainsi qu’un apprentissage de la perception visuelle lorsqu’on est en mouvement.
- D’autres ont perdu les 2 oreilles de l’équilibre. Là encore un apprentissage est nécessaire. Il faut apprendre à « substituer » c’est-à-dire à utiliser les autres systèmes de l’équilibration, l’information vestibulaire n’étant pas disponible. Les autres systèmes sont le système visuel, le système proprioceptif (sensation articulaire ou tactile) et la conscience (anticipation).
- Enfin, parfois il s’agit d’une maladie dite fluctuante comme certaine maladie de Menière. L’oreille de l’équilibre fonctionne différemment selon les jours. C’est gênant car le cerveau doit s’adapter à chaque fois et c’est difficile. On ne peut faire ici de la rééducation que si les crises de fluctuations vestibulaires avec vertiges sont espacées de 2 à 3 mois. Sinon ce sont les médicaments ou parfois la chirurgie qui peut améliorer ou guérir ces patients.
Dr Bernard COHEN
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Extrait d'une conférence CISIC de Septembre 2006