Je suis devenue sourde progressivement  à l’âge de 33 ans à cause d’un traitement médical. Mais en 2005 j’ai totalement perdu la compréhension de la parole de l’oreille droite. C’est alors que le CHU de Rouen m’a proposée l’implant cochléaire. J’ai été implantée en décembre 2005.

Photo Joelle implant cochléaire

 

Je m’appelle Joëlle, j’ai 56 ans. J’habite à Rouen, je suis attachée juridique, j’ai un fils de 33 ans et deux petits enfants, et j’ai découvert que j’entendais mal à l’âge de 33 ans en sortant d’une pièce de théâtre après avoir constaté que j'étais la seule du groupe à penser que les comédiens ne parlaient pas assez fort et que je n’avais pas bien entendu certains acteurs ! Mes amis m’ont vivement conseillé de consulter un ORL. J’ai effectivement passé très vite un audiogramme et j’ai appris que j’avais perdu beaucoup d’audition à droite en revanche, à gauche l’audition était normale ! J’ai donc eu très vite un contour auditif pour corriger cette baisse auditive à droite. Pendant les 10 années suivantes, l’audition de cette oreille a continué à baisser doucement, mais continuellement. J’avais beaucoup de sifflements, et aussi l’impression de ressentir un espèce d’engourdissement derrière l’oreille droite, c’était très bizarre et je ne savais pas trop expliquer ce symptôme.
Je souffrais aussi de vertiges qui duraient plusieurs jours et j’étais calmée grâce aux piqûres de Tanganil et du Serc.


Je continuais à travailler sans que personne ne devine que j’avais un souci auditif et je n’étais que moyennement gênée jusqu’à mes 40 ans. Je cachais d’ailleurs à tout le monde ce handicap. Par ailleurs, j’étais soignée aussi pour une maladie de Crohn qui s’était déclarée alors que j’avais 27 ans et je prenais huit comprimés par jour en traitement continu et cela pendant 8 ans ! Il y a donc suspicion que ce traitement ait été toxique pour mon audition mais cela reste à prouver.


Lorsque j’ai atteint mes 40 ans, l’audition de mon oreille gauche a commencé aussi à flancher doucement et il a fallu envisager de mettre un contour auditif aussi de ce côté. D’autant que l’audition à droite continuait à baisser sévèrement.
Je suis restée avec mes deux contours auditifs jusqu’à mes 54 ans en cachant ma surdité au sein de mon activité professionnelle, car je tenais à mon poste et je craignais qu’on me déplace, ce qui m’aurait perturbée et démotivée .
En 2004, j’ai fait une rechute de ma maladie de Crohn et il a fallu redémarrer un traitement lourd. C’est alors que le CHU de Rouen m’a proposé l’implant cochléaire à l’oreille droite qui était très atteinte en prévision d’une aggravation de cette surdité, du fait de ce nouveau traitement qui pouvait générer une baisse de mon audition également à gauche et risquait donc de devenir sourde profonde bilatérale .


La décision du service ORL du CHU de ROUEN fut donc d’implanter l’oreille droite dont l’audition ne me permettait plus une compréhension des mots mais seulement des sons, alors que mon audition à gauche avec l’aca restait satisfaisante. J’ai su que c’était assez nouveau au CHU de Rouen d’implanter quelqu’un qui n’était pas totalement sourd et j’en ai été extrêmement reconnaissante ! Mon dossier a été présenté en Commission (il y a une liste d’attente) et j’ai obtenu un avis favorable compte tenu des traitements pour soigner ma maladie de Crohn qui risquaient d’aggraver ma surdité bilatérale. Il a été tenu compte aussi de mon âge (54 ans) et de mon métier que je voulais à tout prix pouvoir continuer d’exercer. Il a ainsi été décidé de m’implanter le 12 décembre 2005 de l’oreille droite qui était très atteinte.


Je suis entrée au CHU le 11 décembre 2005 au soir à l’hôpital, pas trop rassurée mais confiante, le chirurgien m’avait tout expliqué, les ORL avaient été rassurants et un psy m’avait suivie depuis deux mois .J’ai été endormie vers 10h le matin et je me suis réveillée la tête bandée très très serrée ! Dès mon réveil ; on m’a mis mon aca à gauche comme je l’avais demandé, afin d’entendre et de ne pas paniquer. J’ai eu des comprimés contre la douleur à prendre toutes les quatre heures pendant plusieurs jours (j’ai dû en prendre 10 jours), mais aucun vertige et aucun vomissement. Le lendemain, je suis allée seule à la douche sans mouiller la tête bien sûr ! Tout s’est donc très bien passé et on ne m’a gardé que 3 jours. C’est un peu court, car j’étais faible , mais il y avait un manque de lits et comme je me remettais bien je suis rentrée chez moi pour le plus grand bonheur de mes proches qui m’ont bien chouchoutée. Je suis retournée au CHU deux jours après, le chirurgien m’a refait mon pansement et m’a permis de me laver les cheveux le 24 décembre au soir !

Je suis retournée au CHU le 3 janvier 2006 pour le premier essai de mon processeur AURIA de chez BIONICS, ce fut un grand moment, j’entendais un petit martien qui me disait et j’entendais un petit canard qui disait et ce petit canard c’était ma voix ! Moments inoubliables avec fou rire de toute l’équipe et quelques larmes quand on m’a dit que tout fonctionnait bien !
Le second réglage 15 jours plus tard après la fin de cicatrisation m’a laissé émerveillée, et j’ai pleuré car entendre aussi bien de l’oreille droite c’était comme un miracle ! Car mon oreille droite m’avait laissé tomber chaque jour un peu plus depuis mes 33 ans, ne laissant passer avant l’implant que les bruits forts,  mais plus du tout la compréhension de la parole ! Cette oreille récupérée c’était un énorme cadeau de la médecine !


Ma rééducation s’est effectuée sur 4 mois avec deux orthophonistes différents. C’était des moments de joie avec deux personnes très généreuses avec lesquelles je reste en contact.
Pendant les séances, bien sûr je coupais l’aca de mon oreille gauche pour bien rééduquer l’oreille implantée, mais c’était forcément plus facile pour les orthophonistes car mon oreille gauche reste bien corrigée .
Je n’ai pas vraiment redécouvert de sons mais je les entends bien maintenant mais c’est vraiment au niveau de la conversation que l’amélioration a été énorme ainsi que pour la télé, la radio, les paroles des chansons aussi, la différence de compréhension est gigantesque.


Il faut que vous sachiez que j’avais toujours caché ma surdité même quand j’ai porté deux contours auditifs j’ai fait des efforts démesurés. J’ai bossé comme une malade, je me suis dépassée et surpassée, et surtout je me suis épuisée ! Le psychologue qui m’a suivie pour l’implant m’a dit que je m’étais mise en situation de grande souffrance morale mais qu’en même temps, ce dépassement de moi-même m’avait forcément rendue plus forte ! Je dis sincèrement que je refusais mon handicap , je voulais être comme tout le monde. Je voulais garder mon travail, je ne voulais pas des regards apitoyés.
Par ailleurs mon mari est décédé lorsque j’avais 35 ans et je ne voulais pas mettre ma carrière professionnelle en danger sachant qu’au travail, on ne nous fait pas de cadeaux ! Ou tu es apte, ou bien tu ne l’es pas, et si tu ne l’es pas, tu es vite au placard !
Pourtant, dans certaines circonstances, ça devenait dur de jouer celle qui entendait bien, de faire celle qui est tellement plongée dans son boulot qu’elle ne relevait pas la tête quand on l’appelait, de faire celle qui était souvent dans la lune, donc qui n’avait pas réagi au bruit !
Je m’isolais, je m’épuisais, je ne me rendais plus au restaurant d’entreprise, trop de bruit, trop peur que quelqu’un me parle et qu’il se rende compte que je n’entendais pas bien.
En revanche, dès que le CHU a pris la décision de m’implanter , j’ai ressenti une véritable libération et à partir de ce moment là, je disais à tout le monde que j’allais être opérée de l’oreille droite car elle ne fonctionnait plus ! Mon comportement a très vite changé, j’osais dire plus souvent que je n’avais pas entendu ou que je n’avais pas compris, c’était un soulagement ! J’avais dépassé ma honte d’être sourde ! Et ça c’était quelque chose ! Il faut que je dise aussi que le psychothérapeute qui m’a suivie pendant 4 mois m’a aidée à ne plus avoir honte de ma surdité , il a été génial avec moi et son aide a porté sur plein d’autres points délicats relevant de l’enfance. Son aide a été considérable !


Quand j’ai repris mon travail, d’abord à mi-temps thérapeutique (4 mois), j’ai été émerveillée de découvrir à quel point il est agréable de converser en toute quiétude avec les autres ainsi qu’au téléphone (j’ai un téléphone Beocom de Bang et Olufsen qui n’est plus commercialisé et c’est dommage car pour les déficients auditifs , il est super !)

Ensuite, lorsque je suis retournée défendre mes dossiers dans les tribunaux. Mon implant a fait des merveilles, j’ai été soulagée de bien entendre, je n’étais plus obligée de connaître mes dossiers par cœur pour palier à ma surdité et du coup j’ai pu retrouver une forme de sérénité !
Je suis retournée régulièrement manger avec mes collègues malgré le bruit à la cantine et quand je ne comprends pas bien , je n’ai plus eu de gêne à faire répéter les gens !!
Je tiens aussi à témoigner que l’aide du CISIC a été très importante pour moi, car l’association que j’ai découverte grâce à internet m’a permis de prendre conscience je n’étais plus toute seule, car vous m’avez encouragée et rassurée avant mon hospitalisation.
J’ai compris que chacun avait eu sa dose de souffrance à cause de la surdité, que certains avaient connu la surdité totale pendant des mois et j’ai découvert que chacun était reconnu par les autres et qu’on pouvait créer un vrai lien d’entraide et vous n’imaginez pas à quel point cela m’a réconforté !
Lorsque je me suis retrouvée la première fois au sein de l’association avec vous tous pour la première fois depuis des années, je me suis sentie comme tout le monde ! C’était la preuve vivante que je devais, non seulement ne pas avoir honte d’être sourde, mais au contraire que je devais être fière de ce combat, de notre combat à tous pour continuer à entendre, à bien entendre !


Sinon, actuellement je fais un réglage tous les quatre mois et ça change assez peu maintenant je n’y trouve peu de différence. Il paraît que c’est normal quand le seuil maxi est atteint.
J’espère pouvoir conserver encore longtemps mon audition côté gauche grâce à mon aca, car le cumul implant et aca me donne une très bonne compréhension .
Toutefois, si un jour l’audition de mon oreille gauche me laisse tomber à son tour, je sais que grâce à l’implant et grâce à vous tous je serai vraiment plus forte pour y faire face.
J’ajoute seulement que l’implant m’a redonné le goût d’aller vers les autres  le goût d’une vie normale, et la chance de vous connaître vous tous les adhérents du CISIC. J’encourage vraiment les malentendants à se faire implanter en confiance et à nous rejoindre au CISIC.


Merci à tout ceux qui dirigent avec tant de cœur cette association , merci pour votre aide, pour vos encouragements reçus avant et après mon implantation cochléaire , merci pour vos conseils et pour votre générosité .
Je viendrai vous retrouver aux réunions chaque fois que cela me sera possible et lorsque je cesserai mon activité, j’envisage de vous proposer mon aide au sein du CISIC et notamment en Normandie.

 

Suite de mon témoignage : implantation de ma 2ème oreille en octobre 2014