Le 16 Mars 2008, 13h45 : l'un des plus beaux jours de ma vie. Thibaut, une cinquantaine de centimètres à peine, vient de naitre. Sa sœur, Clara, 3 ans, est très fière de pouvoir enfin serrer dans ses bras, son petit frère, dont elle entend parler depuis plusieurs mois. Heureusement, le dépistage néonatal de la surdité était déjà pratiqué dans cette maternité de Charleville-Mézières.

Celle-ci, qui vient tout juste d'être rénovée, est en cours de déménagement, les tests d'audition n'ont donc pas été faciles à réaliser et n'ont pas été concluants. Un rendez-vous nous est alors donné le 1er avril. Ce jour là, seule ma femme peut y être présente et à 16h00, c'est le coup de téléphone dont je me vois encore croire à un joli poisson...

Et pourtant non, Thibaut est bien malentendant. Dès lors, on nous dirige vers des spécialistes O.R.L. de Reims qui confirmeront par un PEA la une surdité sévère à 90dB. Je me souviens surtout d'une phrase maladroite de la part du professeur : "c'est un cas qui m'intéresse". Ce jour là, j'avoue lui en avoir voulu. Mon fils, un cas... Un mot si banal, mais qui a raisonné telle une bombe dans ma tête... Aujourd'hui, je lui suis plus que reconnaissant parce qu'en fait, je me suis rendu compte que c'est une personne passionnée, à l'écoute de ses patients et disponible dont je suis maintenant sûr que ce mot n'était qu'une simple maladresse. La semaine suivante, nous avons alors rencontré toute une équipe : Professeur, Audioprothésiste, Orthophoniste, Psychologue. Cette journée fut cependant comme une déchirure. Une peur nous envahissait : comment allions nous communiquer avec notre fils et échanger des émotions au quotidien. Cette équipe, très organisée et complice, a essayé tout de suite de nous rassurer, nous a expliqué clairement les conséquences et nous a expliqué les démarches à effectuer. L'orthophoniste a commencé à suivre Thibaut à raison de 2 fois par mois jusqu’en Août.

Après cette journée, je me souviens avoir durant une journée entière, été faire du jardin juste pour pouvoir m'isoler et réfléchir. Je m'imaginais déjà toutes les difficultés et moments difficiles que Thibaut pourrait rencontrer au cours de toute sa vie. Toute la famille en était abasourdie car il n'y avait jamais eu d'antécédent dans la famille. Le plus dur, ce sont les films que l'on se fait face à la méconnaissance. Lorsqu'une chose nous échappe, lorsque pour la première fois, on perd le contrôle de la situation. S'ajoute à cela le sentiment de culpabilité... Coupable de rendre peut être la vie, qui ne vient à peine de commencer, plus compliquée à notre fils. Culpabilité qui m'a décidé à ne pas avoir de 3ème enfant. Par la suite, les tests génétiques ont fait apparaitre une mutation du gène de la connexine 26 chez les 2 parents.

Dès 2 mois (Mai 2008) Thibaut a eu ses premiers appareils auditifs. Clara, qui voit ses appareils pour la première fois en pleure. Est-ce que ça lui fait mal ? En Septembre une orthophoniste du CAES (Centre d'Audiophonologie et d'Education Sensorielle) de Charleville-Mézières est venu une fois par semaine à la maison durant la première année. Nous avons alors, de suite, commencé la langue des signes française afin de pouvoir rapidement  et plus facilement communiquer avec Thibaut. Ce n'est pas simple de changer de mode de communication. Au lieu de prêter le maximum d'attention à notre ouïe, il faut apprendre à la prêter à notre vue. Etre à l'affut du moindre détail.

Notre première réelle difficulté fut la prise en charge par notre sécurité sociale et mutuelle qui pendant 2 ans ne retrouvait jamais la prise en charge de Thibaut à 100%, bien qu'acceptée. Impossible de le faire apparaitre sur les données de la carte vitale car cela n'est pas dans les textes officiels... De nombreux remboursements difficilement effectués. Et pourtant, ce fut de nombreux déplacements pour réglages d'appareils, audiométries et actes médicaux... Thibaut va avoir 3 ans et des erreurs sont encore régulières.

Les mois passent et les angoissent s'estompent, mais de nouvelles font leurs apparitions. Après quelques réglages, il apparait que les appareils de Thibaut ne sont plus suffisamment efficaces (Mars 2009). De nouveaux appareils, plus performants, sont alors utilisés. De Décembre 2008 à Juin 2009, Thibaut est régulièrement malade. Les mesures deviennent de plus en plus difficiles. Est-ce dû à ses rhumes réguliers ?

En juillet 2009, les résultats étant de moins en moins concluants, on nous propose alors l'implant cochléaire. Des mesures audiométriques sont, cependant, réalisées afin de vérifier le gain apporté par ses appareils sans que Thibaut ne soit malade, mais c'est la dégringolade. Le choix ne fut pas simple...

Le 14 Septembre 2009, Thibaut est opéré. Le plus dur est de le voir partir, sous tranquillisant, dans les bras d'une infirmière qu'il ne connait pas, nous faisant un petit coucou avec un grand sourire. Deux heures d'attente interminables... Une journée ronchon et c'est reparti. La cicatrice est vraiment belle.

Début Octobre, c'est l'activation, l'orthophoniste du CAES nous accompagne. Elle avait auparavant préparée Thibaut à l'opération par des jeux avec des masques médicaux. Dès l'activation c'est un Thibaut très intrigué cherchant du coin de l'œil à comprendre les événements nouveaux.

Les réglages reprennent durant plusieurs mois. En juillet 2010, les résultats commencent vraiment à devenir satisfaisants. Thibaut cherche de plus en plus à discuter, prononce de plus en plus de mots et formule de petites phrases. Il se met même à chanter et reste toujours aussi complice avec sa sœur. On voit très bien qu'il y prend énormément de plaisir et communique par des gestes, la voix et a un visage très expressif. Les cours d'orthophonie prennent le rythme de 2 séances par semaine.

A l'école du village, les pré-inscriptions pour les moins de 3 ans ont débuté en Mai. Ancien Président de l'Association des Parents d'Elève de cette école, j'avais dès la naissance de Thibaut, informé et demandé des renseignements au directeur pour la future scolarisation de Thibaut. En Mai, n'ayant pas de résultats satisfaisant et Thibaut n'étant pas encore propre, nous ne pensions pas possible de l'y inscrire.

Arrivé en Septembre 2010, les résultats sont plus que surprenants. Thibaut communique de plus en plus et finalement, on en arrive à se poser la question de sa scolarisation puisque Thibaut est jugé apte par l'équipe du CAES. Nous avons donc voulu prendre contact et rendez-vous avec le directeur le 07 Octobre 2010. Rendez vous que nous n'avons jamais pu obtenir et dont le directeur nie encore la demande... Ce jour là, il nous a demandé la raison de notre rendez-vous : l'inscription de Thibaut avant ses 3 ans, âge à partir duquel nous demanderons une scolarisation partagée entre le CAES de Charleville-Mézières et l'école du village. Cette scolarisation aurait permis à Thibaut de se familiariser avec les lieux et personnes et de faciliter sa socialisation. Thibaut aurait pu s'habituer au monde de l'école avant de partir à ses 3 ans en taxi à 15 kilomètres de son domicile pour le CAES, école dont il ne connait pas les règles mais où il connait au moins les lieux. De suite, le directeur nous indique la clôture des inscriptions mais doit cependant voir avec l'enseignante en charge de la classe de Très Petite Section (TPS). Nous contactons alors l'enseignante et lui expliquons le situation. Elle nous indique que ce ne sera pas possible surtout que Thibaut n'a pas d'AVSi. Elle nous dit avoir déjà eu un enfant atteint d'autisme et que ce n'était vraiment pas simple...

D'après les chiffres de l'INSEE, une scolarisation précoce influe de manière positive sur la scolarité de l’enfant. En effet, la scolarisation dès 2 ans présenterait des avantages en terme d’acquisition qui se maintiendraient jusqu’au CM2. (86% des élèves scolarisés à l'âge de deux ans entrent "à l'heure ou en avance en 6ème", contre 82% pour ceux scolarisés à trois ans, soit un écart là aussi de 4%). C'est une autre raison, nous laissant supposé que la scolarisation à 2 ans et demi de Thibaut aurait pu lui être favorable.

Le lendemain, après avoir été en contact avec la directrice du CAES, le directeur de l'école nous rappelle nous indiquant que ce serait impossible et que la décision est ferme. Les inscriptions étaient clôturées avec l'accord de Monsieur le Maire et il y avait 26 élèves dans cette classe ce qui était déjà trop. Ce ne sera pas avant l'an prochain. L'accueil l'après-midi à partir de Mars serait inutile, de plus il a été demandé aux parents d'enfants en TPS de ne pas les mettre à l'école l'après-midi faute de lits. Nous avons alors décidé de rencontré Monsieur Le Maire, responsable des inscriptions. Celui-ci nous a paru indigné. Il nous indique avoir accepté de nombreuses dérogations afin de limiter la fermeture de classe et qu'il ne comprend pas que l'on puisse refuser un enfant du village. Il donnera son avis et son soutien en conseil d'école mais ne pourra en faire plus.

Dès lors, nous essayons de faire comprendre les raisons de notre non pré-inscription de Mai : La méconnaissance des résultats de l'implant.

Les parents d'élèves soulèvent, même, le problème en conseil d'école mais le directeur hésite à répondre étant donné que cela ne concerne qu'un seul enfant. Cependant, dans le compte-rendu, il n'hésitera pas à faire clairement apparaitre son identité ...

Les quelques rapports que nous avons eu avec les membres de l'école du village (directeur, enseignante et inspecteur) n'ont pas vraiment été élogieux :

- "je ne prendrai Thibaut que lorsque j'en serai obligé"

- l'école l'après-midi serait inutile puisqu'il y a la sieste et qu'il n'y a véritablement qu'une heure de travail après celle-ci.

- nous devions prendre nos responsabilités en tant que parents et inscrire Thibaut quelque soit le problème en Mai

- "Thibaut sera surement mieux dans une autre école référente plus proche du CAES".

- il n'a pas été inscrit en Mai, et nous sommes en Octobre, c'est dommage (avec un large sourire), mais revenez l'an prochain avec, surtout, une AVSi à 100%.

- "un projet d'accueil, ah non monsieur, ne jouez pas avec ces mots là, votre enfant n'a aucun handicap, c'est un enfant comme les autres"

- "vous vous plierez aux exigences de l'école et de son directeur"

- "L'arrivée en cours d'année, ne pourra être profitable ni pour votre enfant, ni pour les autres enfants qui ont déjà établi un climat de confiance avec l'enseignante. Croyez en mon expérience."

Bien sur tous ces propos n'ont toujours été donnés qu'oralement... Personnes ne les confirmera...

Nous avons, par la suite, cherché à discuter avec l'enseignante qui paraissait réticente afin d'expliquer et de rassurer. Elle nous a renvoyé sur sa collègue, nous indiquant qu'elle l'accepterait peut-être. Nous avons donc été discuté avec celle-ci mais les classes ne correspondaient bien évidemment pas de plus, partant en congé maternité, ce serait une remplaçante qui serait concernée. Une heure après cette discussion, le directeur nous appelle directement à notre domicile et nous interdit de dialoguer avec ses enseignants nous accusant, en plus, de faire preuve de manipulation.

Le 11 Novembre 2010, lors du défilé traditionnel, j'ai, suite à tous ces propos, sereinement refusé la main tendue de la part du directeur, mais m'en suis excusé le lendemain. Après tout cela, nous sommes accusés de faire preuve de susceptibilité et je suis qualifié de personne violente... (courriel envoyé par le directeur après mes excuses : "Certains comportements, certaines paroles ont été emprunts d’une violence avérée et il m’a fallu beaucoup de patience, de sang-froid et de ressources pour rester lucide et responsable tout au long de cet épisode qui s’ajoutait à d’autres soucis professionnels que je devais mener de front." (Bref, son départ à la retraite). Je n'ai pourtant ni fait preuve de violence verbale et encore moins physique à part ce refus de main tendue...

Le raz le bol s'installant, j'ai contacté l'IEN ASH (Inspectrice de l'Education Nationale de l'Adaptation scolaire et Scolarisation des élèves Handicapés), qui, en quelques heures s'est chargée de contacter le professeur référent du secteur et l'a chargé d'organiser une réunion avec toutes les personnes concernées (école du village, équipe du CAES et parents). L'inspecteur de l'école aurait lui même fini par proposé des temps d'adaptation...

Malgré la loi du 11 Février 2005, même si les parents en font la demande, la scolarisation à partir de trois ans reste au bon vouloir des personnes.

La réunion prend en compte les disponibilités de chacun et la date du 31 Janvier 2011 est convenue. Le but : préparer la scolarisation de Thibaut pour Septembre 2011.

Pour le directeur, l'école n'a jamais accueilli d'enfant de moins de 3 ans en cours d'année et cela ne changera pas. Tous les points sont abordés et pour une fois nous sommes écoutés et justifions de notre demande. Pour cette année scolaire, Thibaut sera, comme convenu, accueilli à partir de ces 3 ans (Mars ou Avril 2011) au CAES dès réception de la notification MDPH mais ne le sera pas l'après-midi à l'école du village, l'heure suivant la sieste étant jugée comme inutile, mais pour qui ? Thibaut sera accueilli environs 2 fois en fin d'année scolaire à l'école du village afin de faire connaissance avec les autres enfants de l'école. Voilà ce que cette école est capable de fournir comme efforts. C'est finalement, peut être, mieux comme cela...  L'an prochain, il pourra continuer à aller au CAES le matin et ira les après-midi dans l'école du village.

J'avoue avoir espéré, cependant, beaucoup mieux pour cette année. Pour finaliser la réunion, le directeur avoue se réjouir de s'être limité à sa simple réponse institutionnelle, car il lui semble, qu'intégrer Thibaut trop tôt, n'aurait, pas permis ce dialogue et cette organisation... Il lui est rappelé, cependant, que tout ceci aurait bien entendu été effectué dès lors que la scolarisation de Thibaut aurait été autorisée.

En tout cas, nous remercions vraiment du fond du cœur toute l'équipe de spécialiste de Reims, l'équipe du CAES de Charleville-Mézières et l'équipe d'inspection ASH pour leur encadrement, soutien, écoute, précieux conseils et dynamisme. Toutes ces personnes ont fait preuve d'énormément de compassion et affirme par leurs talents, leur vocation. Merci également aux nombreuses personnes qui nous ont affiché leur soutien dans nos démarches et avons malgré tout fait de rencontres plus qu'enrichissantes.

Sébastien F.